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Pourquoi les marchés financiers suivent-ils de près l’évolution des taux directeurs des banques centrales ?

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Toutes les six semaines, les opérateurs des marchés monétaires et obligataires européens, les investisseurs des marchés d’actions et de devises attendent une annonce susceptible de déterminer leur stratégie. Cette annonce, c’est celle de la Banque centrale européenne sur ses taux d’intérêt directeurs. 

Le 6 mars 2025, la Banque centrale européenne (BCE), qui a en charge la politique monétaire de la zone euro, annonce une sixième baisse de son principal taux d’intérêt directeur en neuf mois. Une décision justifiée par une seule raison : « le processus de désinflation est en bonne voie ».

Comme toutes les banques centrales des économies développées, la stabilité des prix est en effet la mission principale de la BCE. La Banque centrale américaine, la Fed, qui poursuit, elle aussi, un mouvement de baisse de ses taux, y ajoute un objectif de plein emploi. Les banques centrales cherchent à agir avant tout sur l’économie réelle, les effets de leurs décisions peuvent prendre du temps à se diffuser à l’économie. Elles ont également un impact sur les marchés financiers.

Le principal outil de la politique monétaire, en temps normal, est le taux d’intérêt directeur. C’est le taux fixé par une banque centrale pour les prêts qu’elle accorde aux banques commerciales qui en ont besoin. Il est dit « directeur », car il influence le taux d’intérêt auquel les banques commerciales prêtent elles-mêmes à leurs clients.

L’inflation, seule boussole de la BCE

Dans la zone euro, la BCE utilise non pas un, mais trois taux directeurs. Toutes les six semaines, elle fait une annonce pour dire si elle va augmenter, baisser ou laisser inchangés ses taux pour atteindre son objectif de stabilité des prix. Depuis juillet 2021, elle se fixe pour cible une « inflation de 2 % à moyen terme », autorisant ainsi un écart temporaire par rapport à cet objectif.

Si, malgré cette marge de manœuvre, la BCE estime que l’inflation est trop forte, elle va relever ses taux afin de pousser les banques commerciales à augmenter les leurs. Le coût du crédit devenant plus cher, ménages et entreprises empruntent moins, ce qui pèse sur la consommation et l’investissement. Le ralentissement de la demande qui en découle permet de ralentir le rythme de l’inflation. À l’inverse, si la BCE estime que l’inflation est trop basse, elle va diminuer ses taux directeurs pour favoriser les emprunts, l’activité, et donc, la hausse des prix.

La sortie de la crise du Covid illustre cette stratégie. Elle s’est en effet accompagnée d’une forte poussée de l’inflation dans la zone euro qui a atteint un pic de 10,6 % en rythme annuel en octobre 2022, selon Eurostat, l’office de statistique de l’Union européenne. En réaction, la BCE a procédé à dix hausses consécutives de ses taux directeurs, portant le principal d’entre eux de 0 % en juillet 2022 à 4 % en septembre 2023. Moins d’un an plus tard, en juin 2024, estimant avoir jugulé la flambée des prix, elle a fait machine arrière et entamé une série de six baisses de suite qui ont ramené ce même taux à 2,5 %.

Tel est le mécanisme général de ses interventions. Mais comment la politique monétaire impacte-t-elle les marchés financiers ?

 

La politique des taux d’intérêt, comment ça marche ?

La modulation des taux directeurs vise à piloter les taux du marché monétaire, ou marché interbancaire. C’est là, auprès de leurs consœurs, que les banques commerciales se fournissent en liquidités quand les retraits de leurs clients dépassent les dépôts et qu’elles placent leurs excédents dans le cas contraire. Il s’agit d’un marché de prêts et de placements à court terme.

Sur ce marché, les institutions financières ont également la possibilité de s’adresser à la banque centrale pour lui emprunter de l’argent ou y placer leur trésorerie excédentaire. Dans la zone euro, elles se voient ainsi offrir trois facilités à trois taux (directeurs) différents.

Le taux des opérations principales de refinancement : c’est le taux d’intérêt payé par les banques quand elles empruntent de la liquidité pour une semaine, généralement dans le but d’octroyer des crédits.
– Le taux de la facilité de prêt marginal : c’est le taux auquel les banques peuvent emprunter de la liquidité à vingt-quatre heures, mais à un taux plus élevé que pour de la liquidité à une semaine. C’est le taux plafond du marché interbancaire, aucune banque n’ayant intérêt à emprunter plus cher à une autre banque.
– Le taux de la facilité de dépôt : c’est la rémunération perçue par les banques lorsqu’elles déposent des fonds pour vingt-quatre heures auprès de la banque centrale. C’est aussi le taux plancher du marché interbancaire. Depuis mars 2024, il a remplacé le taux principal de refinancement comme principal taux directeur de la BCE.

Les taux d’intérêts auxquels les banques se fournissent en liquidités sont ainsi contraints entre le plancher et le plafond des taux directeurs. Ils déterminent les taux auxquels les banques prêtent à court terme, mais influent aussi sur les taux à plus long terme. Pour un investisseur, en effet, il doit être indifférent d’acheter une obligation à 2, 5, ou 10 ans ou de garder son argent investi sur le marché monétaire pendant 2, 5 ou 10 ans.

Cette influence sur les taux longs n’est toutefois que partielle, car ils intègrent aussi des anticipations sur l’évolution de l’inflation ainsi que des primes de risque, liées notamment à la durée. C’est pourquoi les taux des prêts immobiliers à taux fixes ne sont qu’en partie influencés par les taux directeurs. En France, ils sont surtout alignés sur le taux des obligations assimilables du Trésor à 10 ans. Les taux des prêts immobiliers à taux variables, en revanche, sont indexés sur ceux de la BCE.

 

Impact direct sur le marché obligataire, plus complexe sur les bourses

Les taux directeurs influent donc sur le marché obligataire où sont échangées les obligations, ces titres d’emprunt portant intérêt et remboursables à une date déterminée. Les hausses de taux directeurs, en poussant à la hausse les taux des obligations nouvellement émises, ont tendance à faire baisser le prix des obligations déjà émises, car elles offrent un moindre rendement. Une baisse des taux a l’effet inverse.

Cette relation s’est encore confirmée l’année dernière. « La politique monétaire a été un facteur haussier [sur le marché des] taux-longs au premier semestre 2024 puis baissier au second semestre », quand la baisse des taux directeurs a commencé dans la zone euro puis aux États-Unis, constate ainsi Yann Tampereau, chef économiste à la Caisse des dépôts, dans une note parue le 7 janvier 2025.

La politique de taux des banques centrales a également un impact sur les marchés d’actions. Une baisse des taux directeurs tend à faire monter le prix des actions, car elle est censée favoriser l’activité et donc les résultats des entreprises. Une hausse des taux a l’effet inverse. Les baisses de taux rendent par ailleurs les émissions d’obligations moins attractives et poussent les investisseurs à investir plutôt sur le marché boursier. Les taux d’intérêt des banques centrales et le cours des marchés d’actions évoluent donc en général en sens inverse.

Mais cette relation « est plus complexe », avertit William de Wilder, chef économiste de BNP Paribas, dans une analyse comparative de l’évolution de l’indice boursier américain S&P 500 et des taux de la Fed américaine entre 1996 et 2024. « Les marchés réagissent en général négativement à la perspective d’une hausse des taux d’intérêt, reconnaît-il. Mais les investisseurs se concentrent parfois sur les perspectives de bénéfices générés par un bon environnement de croissance qui contraint les banques centrales à relever leur taux directeur. »

L’évolution des taux directeurs a également un impact direct sur le marché des devises. Une hausse des taux d’intérêt dans une zone monétaire rend en effet plus intéressants les placements dans la monnaie de cette zone. Résultat, la monnaie locale devient plus demandée par des investisseurs étrangers et s’apprécie par rapport aux autres devises.

Cet effet peut d’ailleurs être recherché par la banque centrale dans sa stratégie de lutte contre l’inflation, car l’appréciation de la monnaie va faire baisser le prix des produits importés. On observe l’effet inverse en cas de baisse des taux directeurs. Mais comme le souligne la Banque de France, « à long terme, sur le marché des changes, la valeur d’une monnaie est liée aux fondamentaux de son économie ».

Les limites de la politique des taux

Si les taux d’intérêt directeurs sont bien les principaux instruments de la politique monétaire conventionnelle, ils ont atteint leurs limites quand il a fallu faire face à la crise financière de 2008 et aux crises qui ont suivi. Elles ont en effet amené les banques centrales à abaisser leurs taux aux alentours de zéro. Ceux de la BCE sont ainsi restés bloqués à zéro entre mars 2016 et juillet 2022, le taux de dépôt étant même négatif, rendant difficile toute baisse supplémentaire.

Les banques centrales se sont alors dotées de nouveaux instruments dits « non conventionnels » comme des programmes d’achats massifs d’actifs financiers dont l’objectif était de peser directement sur les taux des obligations à moyen et long terme. Cette technique dite « d’assouplissement quantitatif » a également été appliquée lors de la pandémie de Covid.

Depuis juillet 2022, toutefois, face au retour de l’inflation en zone euro, ces outils sont moins utilisés. Et les taux d’intérêt ont fait leur retour au premier plan de la politique monétaire. Mais la relation entre taux d’intérêt directeurs et marchés financiers est loin d’être simple. Pour preuve, le fait que la baisse actuelle des taux directeurs à court terme de la BCE et de la Fed s’accompagne d’une hausse des taux longs. Une divergence contraire au cas général qui suscite des débats chez les experts.

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